EXPOSITION - Étienne Poulle : Jouer d'usages

L’exposition dévoile un ensemble d’œuvres sculpturales et de pièces inédites spécialement conçues pour Labanque. Les œuvres convoquent des thèmes chers à Étienne Poulle comme la mémoire, l’architecture, la sculpture, l'artisanat. L’exposition se parcourt comme un chantier de fouilles archéologiques, où les restes de notre quotidien deviennent les fragments d’un récit collectif à réinventer.

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L’artiste entremêle l’architecture et la sculpture, et déjoue leurs fonctions premières. 

D’un côté, la sculpture est esthétique, artistique et symbolique. Elle peut être figurative, abstraite, minuscule ou monumentale. L’architecture, quant à elle, répond à un usage : se loger, se réunir, se protéger. Si l’architecture peut être expressive, elle est d’abord fonctionnelle et spatiale. Elle créée des espaces construits. Étienne Poulle joue et brouille volontairement ces deux disciplines : il crée des espaces architecturaux de manière sculpturale, et conçoit des sculptures à échelle architecturale, voire praticable. Les œuvres présentées s’inscrivent dans cette hybridité : des objets démesurés, inspirés de jouets ou d’artefacts, questionnent la relation entre échelle, espace et usage, à la croisée des langages de la sculpture et des imaginaires architecturaux.

Au rez-de-chaussée

Au rez-de-chaussée, Étienne Poulle donne forme au paradoxe : l’éphémère devient mémoire, l’objet manufacturé en vestige contemporain, l’ordinaire en sacré. Dès l’entrée, deux tentes aux formes communes jouent de leur apparence. Elles sont figées par leur matière ; le bois et le zinc remplacent la toile, le plâtre suggère la souplesse. En perdant leur mobilité, ces tentes offrent un autre rapport au logement, à l’abri, à l’architecture précaire où le nomade se transforme en monument. Au centre, entourés des piliers de Labanque, s’érigent les Bakugans®. Ces petits jouets guerriers, vifs et colorés, liés à la culture manga et à l’ère industrielle, adoptent ici la posture solennelle des statues de marbre. L’artiste puisse dans l’univers familier du jouet plastique et lui confère les codes artistiques des statues antiques, interrogeant leur valeur historique et leur fonction. Le jouet, objet industriel et enfantin, se mue en objet culturel, vestige fragile d’un monde en mutation. Des trognes de saule s’assemblent avec des briques LEGO®, comme si le vivant, lui aussi, jouait à recomposer sa matière. Plus loin, des sculptures aux finitions chromées oscillent entre outil préhistorique et pièce de carrosserie contemporaine. Étienne Poulle s’empare ici des formes des haches néolithiques, issues d’un savoir-faire ancestral. Dans la serre de monnaie, cette fois l’artiste rend nomade une croix monumentale en béton, il témoigne « sans nostalgie, dans un monde fait de déplacements incessants, où concrètement enterrer ses morts, enraciner ses histoires ? ». Par un jeu subtil d’échelle, de matière et de détournement, l’artiste avec malice, fait perdre la fonction première de ces objets ancestraux.
 

Dans les sous-sols

Dans les sous-sols, Étienne Poulle fait surgir des constructions improbables appartenant à un passé recomposé. Deux œuvres monumentales se font écho : MédiévO 2 et Ruines LEGO®. La première est une installation de parpaings sculptés de moulures et d’ornements issus de l’architecture romane. De cette manière brute de chantier est révélé une architecture délicate. À côté, des ruines de briques LEGO® émergent. Les briques sont cuites en céramique et sont à échelle humaine ; le visiteur est invité à imaginer, à recomposer mentalement, une architecture aux possibilités illimitées. L’artiste convoque ici l’idée du palimpseste urbain : ce processus par lequel les villes se créent et se défont par couches successives, entre effondrements et reconstructions.


Dans la salle des coffres

Dans la salle des coffres, Étienne Poulle dévoile les prochaines reliques de l'ère industrielle : les blisters. Le blister est l’emballage thermoformé en plastique assurant la présentation et la protection d’un produit. Ici, l’artiste s’inspire de leurs formes et les transforme en petits objets de porcelaine. Exposées telles des bijoux, plaquées d’un pictogramme doré aux traits similaires à celui du tri sélectif, les œuvres sont placées dans les coffres de Labanque, tels des écrins, leur conférant ainsi le titre d’objets précieux témoignant du passé. La porcelaine, cette matière noble empreinte de délicatesse et de raffinement, sacralise ici l’ordinaire et dévoile des objets du quotidien : un lot de deux brosses à dents, un lot de trois rubans correcteurs ou encore des disques abrasifs auto-agrippant pour ponceuse excentrique.
 

Le flou

Jouer d’usages a une temporalité floue : celle d’après le jeu, d’après l’usage, d’après le geste. L’exposition se parcourt comme un chantier de fouilles archéologiques, où les restes de notre quotidien deviennent les fragments d’un récit collectif à réinventer. 
 

L'artiste, en quelques mots 

Étienne Poulle est un sculpteur français, il vit et travaille à Angers. Il est enseignant à l’École supérieure d’Art et de Design TALM-Angers. Apprenti maçon puis tailleur de pierre, il a œuvré pendant plusieurs années à la restauration du patrimoine. 

Ces expériences ont indiscutablement laissé des traces dans sa manière d’appréhender l’architecture, la matière et dans un certain rapport à la dimension, à l’échelle, à l’essence même de la sculpture. D’autre part, il entretient avec le patrimoine et le passé une relation de connivence – parfois teintée d’irrévérence – puisque c’est le socle même de nombre de ses œuvres. Ses interrogations sur la manière de lire les fragments du patrimoine qui parviennent jusqu’à nous, son intérêt pour la sculpture ancienne et la sculpture contemporaine, l’amènent à pratiquer certains « tissages » entre les deux dans son travail. » 

Christine Besson, conservatrice en chef et commissaire de l’exposition Rester de marbre d’Étienne Poulle au Musée des Beaux-Arts d’Angers